Histoires d'info. "Je n'y ai pas ma place" : quand Mitterrand refusait de se rendre au dîner du CRIF
Emmanuel Macron se rend au dîner du CRIF, mercredi 20 février. On l'a oublié, mais la présence du président de la République à cet événement est récente. Un tabou qui n'en est plus un.
Le dîner du CRIF doit tout à son président de l’époque. En 1983, Théo Klein, un avocat, juif et libéral est élu avec difficulté à la tête de l’institution. Les dents grincent d’autant que pour celui-ci : "Les juifs français sont des citoyens français qui, en tant que tels, participent à toutes les élections et ont donc une influence directe sur la composition du Parlement et donc sur le gouvernement français. Mais les juifs français ne participent pas aux élections israéliennes et ils n’ont donc pas la même position dans la vie politique du pays." Sous-entendu, le CRIF n’a pas vocation à défendre Israël.
La naissance du dîner du CRIF
Attaché à la laïcité, Théo Klein invente un rendez-vous annuel entre la communauté juive et la République, c’est le dîner du CRIF. Il faut dire que la vague d’antisémitisme qui a frappé la France depuis la fin des années 1970 inquiète particulièrement les Français de religion juive.
Lors de ce dîner, la République est censée être essentiellement incarnée par la présence du Premier ministre. Ainsi, lors du premier dîner, qui se tient en 1985 au Sénat, Laurent Fabius est l’invité d’honneur. On y parle beaucoup de Le Pen et du Front national. Même chose en 1987, quand le premier ministre Jacques Chirac se rend à cet événement encore très peu médiatisé.
François Mitterrand refuse l'invitation en 1988
En 1987, Théo Klein change de braquet et invite pour l’année suivante François Mitterrand, le président de la République. C'est un proche de Théo Klein, il était avec lui lors du déplacement de Mitterrand en URSS en 1984 où avait été évoquée la question sensible des juifs d’URSS.
Pourtant le président de la République refuse de se rendre au CRIF, considérant que ce n’est pas sa place. Car même si on y parle essentiellement politique, François Mitterrand y voit une entorse au principe de laïcité, le CRIF est tout de même une institution dont la dimension religieuse n’est pas absente. Il considère également qu’en charge de la diplomatie française, il se doit d’être neutre. Un an après le dîner du CRIF qu’il a refusé, François Mitterrand recevra Yasser Arafat à l’Élysée. Une visite condamnée par le CRIF qui voit uniquement dans le dirigeant de l’OLP un terroriste.
Nicolas Sarkozy transgresse le tabou en 2008
Si le dîner du CRIF devient un événement où se pressent les premiers ministres et les dirigeants de gauche et de droite, le président de la République reste soigneusement à l’écart… en tout cas jusqu’au 13 février 2008. Un président transgresse une sorte de tabou. "Hier, Nicolas Sarkozy participait au dîner annuel du CRIF à Boulogne. Lui, qui est régulièrement accusé d'écorner le principe de laïcité, est venu préciser sa conception de la laïcité", racontait Bruno Duvic sur France Inter.
Nicolas Sarkozy, qui avait peu de temps auparavant affirmé son attachement aux valeurs défendues par les religions, évoquant notamment que l’instituteur était moins bien placé que le curé pour dire ce qui est bien et ce qui est mal, venait au CRIF affirmer également son amitié à l’égard d’Israël au moment où le CRIF opérait un clair virage à droite.
Depuis lui, tous les présidents se sont rendus au dîner annuel du CRIF, oubliant les réticences des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac et parfois entretenant la confusion entre juifs et Israël, une confusion dont l’on mesure aujourd’hui le danger.
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